Nain perdu
Nouvelle écrite par Pascal CASTILLON dans le style Humour
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Le couple de retraités avait surgi aux aurores !
Le commissariat sentait un mélange de café chaud, de pieds (un peu), de sueur et deau de javel.
La nuit y avait été calme car la saison estivale tirait à sa fin. Dans la chaleur exceptionnelle de cette année là, les touristes remballaient. Leurs drôles navaient soudain plus goût aux conneries nocturnes quils se croient permises en vacances. Comme sils sentaient que ces temps étaient presque révolus ! Le retour au train-train approchait donc. Le brigadier de permanence avait dailleurs été tout étonné de se réveiller vers six heures sans avoir été interrompu depuis sa dernière ronde, à une heure. Il y avait longtemps que cela nétait pas arrivé !
Il sétait même cru chez lui ; dormant comme un bienheureux ! Mais la rigidité du lit Picot installé au fond du commissariat lui avait tout de même rappelé au réveil la dure réalité de sa condition de flic de terrain.
Oh ! Terrain, oui, certes ! Mais celui dune station balnéaire réputée ! Un peu désuète sans doute ; ou surannée selon le vocabulaire de chacun
Mais cétait loin de La Courneuve ou des Minguettes ! Aussi, le brigadier ; Petit de son nom de famille, ne se plaignait sûrement pas de son affectation dans cette ville. Même si la population décuplait en juillet et août pour deux mois difficiles, ce nétait rien auprès des dix autres mois ; où il restait quand même, pour rompre la monotonie, quelques casses de villas vides !
Bien sur, il devait avoir plus dactivité que les collègues de La Souterraine dans la Creuse ou de la Haye-Pesnel dans la Manche ! Mais la clémence de la météo, lenvironnement mer-forêt et les loisirs pêche-chasse, liés au quotidien sans grosses affaires ni troubles particuliers, faisaient que le brigadier Petit naurait pas cédé sa place pour un empire.
Ah si ! Seul point noir ; seule chose qui le stressait vraiment, dix jours en août, depuis trois ans : Le Ministre prenait ses vacances sur son secteur ! Sympa le Ministre ! Sympa, mais ferme ! Dur, même ! Parce que, comme pour sa commune dune banlieue chic, son bled de vacances, cétait un peu sa vitrine ! Alors, il était plus exigeant ici et là-bas ! Et, comme les médias lui suçaient sans cesse la roue pour lui voler qui une photo, qui une parole (en langage journalistique, on dit une « petite phrase »
Les journalistes, comme les politiques, ont toujours dautres mots que ceux quutilisent les gens
).
Alors, en excellent politicien, le Ministre savait profiter des micros et des objectifs. Dame ! Pourquoi bouder une telle aubaine quand, en se rasant, on a des ambitions bien plus hautes encore ?
Il navait même pas à faire comme un de ses collègues du parti den face, qui convoquait la presse plusieurs fois par semaine, pour tout et rien, seulement afin de se rendre présent, de faire parler de lui et de papillonner sous les éclairs de flashes
- Ca fait chier quand il est en vacances ici, disait le brigadier à Brigitte, son épouse. Parce que les RG, les cow-boys de la protection, le préfet, le maire et tout un tas dinutiles quon ne voit jamais se souviennent soudain de moi ! Ah ! Il a du bol que je laime bien, le Ministre ! Et quil est sympa !
On se demande bien ce qui serait advenu si le ministre navait pas « eu du bol » !
Ainsi, Gérard Petit aimait croire quune grande part de la sécurité de son si lointain supérieur tenait un peu dans ses mains deux semaines par an.
Donc, ce matin là, dispos après une bonne nuit, le brigadier Petit avait vu entrer dans son commissariat ce couple de personnes âgées ; excitées, parlant en même temps et jetant un tel vent de folie dans le calme inhabituel des lieux que cela lagaça. Il savança vers le comptoir.
- Quest-ce qui se passe ? demanda-t-il.
- Ce sont ces messieurs-dames, brigadier.
- Je vois bien ! Cest pour quoi ?
- Une disparition ! dit la vieille.
- Une disparition ?
- Oui Monsieur le brigadier, répondit-elle respectueusement en se tamponnant le cou avec un petit mouchoir brodé.
- Il fait chaud chez vous ! ajouta-t-elle.
Le brigadier aquiesca. Il était déjà en nage. Tous les médias parlaient de canicule et depuis des mois il navait quasiment pas plu. Même eux, au commissariat, avaient des instructions du Préfet de verbaliser les contrevenants à linterdiction darroser les pelouses !
- Un nain, dit le vieux. Il a disparu !
- Disparu doù ? Et quand ?
- Mais de chez nous ! Cette nuit sans doute.
- Quest-ce qui vous fait dire ça ? Vous nen êtes pas surs ?
- Ben, hier soir, quand on sest couché, juste après « Les Etoiles du Show-biz, je lai vu sur la pelouse, près du cerisier.
- Son signalement ?
Cétait un trait de caractère du brigadier Petit ; la concision dans le travail. La vieille entreprit de décrire le disparu.
- Pantalon rouge et veste bleue. Et un bonnet.
Elle était concise aussi, cela plut au fonctionnaire.
- Un bonnet ? sétonna le policier qui se demandait ce quon pouvait fiche à vingt-trois heures, en août, avec un bonnet !
- Comment le bonnet ? demanda-t-il néanmoins.
- Rouge.
- Comme Cousteau ? demanda le jeune auxiliaire qui suivait attentivement linterrogatoire. Cétait sa première disparition.
Les deux retraités se regardèrent.
- Comme Cousteau ?
Non, dit la femme en hésitant. Elle sessuya la lèvre supérieure.
- Plutôt comme le Grand Schtroumf ! lança le papy avec sérieux.
Le brigadier et lauxiliaire échangèrent un regard. En vieux de la vieille auquel on ne la fait pas, Gérard Petit ne fit pas de commentaire mais nen pensait pas moins : un peu allumés les deux vieux schnocks ! Alzémeur ou équivalent !
Bon. Il avait bien dormi, il était détendu et dhumeur badine car à dix heures il finirait son service avec cinq jours de repos en perspective. Les loubines, grisets, mules et coustuts navaient quà bien se tenir : Il arrivait ! Et cela le mettait de bonne humeur. En temps normal il aurait expédié les deux foutracs chez Plumeau, mais aujourdhui, au seuil de ce long congé, il se sentait presque indulgent. Voire social.
- Récapitulons dit-il. Planton, notez !...Disparition dun nain vêtu dun pantalon rouge et dune veste bleue
- Avec un bonnet ! coupa la vieille.
- Coiffé dun bonnet rouge. A vingt-trois heures, de la rue Marcel Proust, numéro vingt, où il réside chez les époux
Votre nom ?
Ils le lui donnèrent.
- Signes particuliers du disparu ?
Les deux vieux se consultèrent.
- La barbe ? proposa le vieux.
- Et la moustache ! rajouta sa femme. Blanches !
- Notez planton. Bon, messieurs-dames, on va lancer les recherches. Nous avons vos coordonnées. On vous tient au courant. Ah ! Une dernière question : Votre lien de parenté avec le disparu ?
Les deux plaignants se regardèrent à nouveau. Le papy haussa les épaules avec une moue et, comme étonné de la question, dit :
- Mais aucun !
Petit ne releva pas le ton et tira le document qui sortait de limprimante. Il sépongea le front avec son mouchoir.
- Voila ! Nous avons tout. Une signature sil vous plait
Bien. Ne vous inquiétez pas, il nest sûrement pas loin. On sen occupe !
- Merci monsieur lagent dit la mamie.
- Vous nous tenez au courant, insista son mari.
- Mais bien sur ! Pensez ! Un nain vêtu ainsi, on ne peut pas le louper
Oh ! Pardon ! Je veux dire
enfin
Ne vous inquiétez pas !
Empourpré, le brigadier Petit cherchait à rattraper sa bévue.
- A midi, on aura certainement du nouveau.
Le couple se resserra en se disposant à partir. Le brigadier fit le tour du comptoir et les dirigea derechef vers la sortie.
Quand il revint, le jeune auxiliaire lui demanda :
- Brigadier, on fait quoi ?
- Comment ça on fait quoi ?
- Ben
pour le nain ?
- Et tu veux faire quoi ?
Gérard Petit se redressa.
- Et tu veux faire quoi ? Recherche dans lintérêt des familles ça sappelle ! Alors tu révises tes cours et tu lances les avis de recherche qui vont bien ! Un nain, ça court pas les rues quand même ! On va leur retrouver leur pote aux petits vieux, là ! Entre hier soir et ce matin, avec ses petites pattes, il a pas dû aller bien loin ! Allez, fissa !
Il regarda la pendule : 8heures 47. Encore une heure et quart et puis, sur leau ! Un peu dair, enfin !
Brigitte, son épouse, avait mission du ravito pour le pique-nique à lIle
Il ne faudrait pas traîner car la marée était pile-poil avec son heure de débauche. Une demi-heure de retard et il ne pourrait plus sortir du port
Il avait hâte de se trouver sur leau, avec un peu de brise et surtout du calme
- Brigadier ?
Gérard Petit revint sur terre.
- Quoi encore ?
- Les amis du nain, on ne leur a pas demandé son nom.
- Son nom
Quel nom ?
- Ben, le nom du nain !
Le brigadier réfléchit.
- Cest vrai
Bon. On leur demandera plus tard ! En attendant, ça nempêche pas de lancer les patrouilles sur lui. Même sans son nom, un nain ça se remarque. Allez, exécution !
- Ca va Petit ?
Le commissaire venait dinterpeller le brigadier en arrivant à son bureau.
- Quoi de neuf cette nuit ?
- Rien chef. Rien de rien. Jai même pu dormir un peu, cest vous dire !
- Tant mieux.
- Ah si ! Juste une disparition signalée ce matin. Il y a cinq minutes à peine.
Le commissaire sarrêta net. Il naimait pas les histoires de disparition, cela lui rappelait de mauvais souvenirs, dans une autre affectation, où une petite fille navait jamais été retrouvée.
Le brigadier, déjà, expliquait :
- Un couple de papy-mamie. Ils sont passés tout à lheure. Un de leurs copains quils hébergent aurait disparu dans la nuit. La dernière fois quils lont vu, il pissait dans le jardin avant daller se coucher, après lémission de télé dhier soir. Et ce matin, il nétait plus là.
- Il sera parti se promener à la fraîche, dit le commissaire, rassuré.
- Cest ce que je me dis. Mais ils étaient tellement énervés que jai quand même pris leur demande.
- Cest un petit vieux ?
Le brigadier rit avant de répondre :
- Ca, cest sûr, chef ! Un vieux
petit !
Il précisa dans un nouveau rire :
- Petit, parce que cest un nain !
Voyant quil ne faisait pas rire son supérieur, le brigadier Petit reprit son sérieux de professionnel :
- Mais on va le trouver. Il y a bien une patrouille qui va nous le signaler le long des plages ou ailleurs
Si ça se trouve il est déjà rentré. Il a peut-être passé la nuit au casino ?
Le commissaire maugréa quelque chose, oublia Petit et rentra dans son bureau. Cinq minutes plus tard, le planton linforma que le correspondant local du quotidien régional voulait le voir.
Les deux hommes sentendaient plutôt bien. Le commissaire demanda deux cafés et il reçut le journaliste.
Dix minutes plus tard, il appela le brigadier Petit. Celui-ci entra et se carra devant le ventilateur. Autant en profiter
- Vous mavez demandé, chef ?
- Oui Petit
Au fait, votre nain là, vous lavez retrouvé ?
- Pas encore chef. Les patrouilles sont en cours de changement. Cest la relève. Mais les nouvelles sont au courant. A midi, on en saura certainement plus.
Le commissaire eut un coup dil vers le journaliste.
- Et vous êtes sur, Petit, de vos deux vieux ?
- Quels vieux, chef ?
- Ceux qui vous ont déclaré la disparition du nain, pardi !
- Bah !...Comment ça, sur ?
- Ils avaient lair net ? Pas saouls ? Pas givrés ? Normaux, quoi ?
- Ah oui, chef ! Normaux. Deux petits vieux bien propres et parfumés. Non, non ! Pas de problème !
Le commissaire prit une lettre posée devant lui et la tendit à son subordonné.
- Lisez ça, Petit. Cela a été déposé au journal de notre ami ce matin.
Gérard Petit prit la lettre et lut :
« Cette année encore nous sommes fragiles. Nous sommes mécontents de larrêté préfectoral interdisant darroser. Cela nous fait beaucoup de torts : peinture écaillée, couleurs flétries et déshydratation !
Nous ne parvenons plus à faire bonne figure dans les jardins écrasés de soleil.
Nous sommes moins souriants et notre anisette est sans eau !
Cest pourquoi nous partons en vacances quelques jours.
Le FNLNJ* nous a permis dorganiser la croisière pour laquelle nous partons.
Signé : Le Nain. »
Le brigadier releva la tête. Le commissaire et le journaliste étaient hilares.
-« Vous avez lu le post-scriptum, Petit ?
Le brigadier lu :
PS : Vous trouverez sur lîlot du Jardin Mauresque 30 nains de jardins en vacances.
*FNLNJ : Front National de Libération des Nains de Jardins.
Le commissaire reprit :
- Petit. Vous prenez immédiatement un fourgon et vous filez là-bas. Et sans sirène, hein ! Pas la peine de vous faire remarquer. Vous ramenez les nains... Le vôtre doit sans doute y être, non ?...Et puis, ensuite, vous retrouverez les différentes plaintes pour vols
de nains de jardins ! Et vous convoquerez les plaignants pour quils récupèrent le leur !
Le brigadier se dit alors quil ne serait pas adroit de rappeler au chef quil était en repos dans une demi-heure
Et il sentait que le port de plaisance serait vide quand il y arriverait ! Et que Brigitte allait lattendre
Et sans doute râler !
- Ah ! Petit ! Une dernière chose ; voila une photo qui passera dans le journal de demain.
Le brigadier prit le cliché que lui tendait le commissaire. Sur lîlot du jardin public, se mirant dans leau doù les observaient des canards intrigués, une trentaine de nains de jardins était alignés comme à la parade, sur une petite plage de sable. Une banderole les surmontait, aux couleurs du FNLNJ.

Lecture aléatoire
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